Bases didactiques de projet pédagogique : G. NUNZIATI
L'évaluation formatrice : une démarche de régulation conduite par l'apprenant
Georgette Nunziati a exploré les potentialités de l'évaluation formative. Avec Jean-Jacques Bonniol, professeur des universités, fondateur et ancien directeur du département des sciences de l'éducation à l'Université de Provence - Aix-Marseille, formateur et consultant dans le secteur sanitaire, social et médico-social, elle mène une recherche dans les années 1970. Dans ce cadre, elle élabore une série d'outils et de techniques à partir d'une construction théorique cohérente issue d'un dispositif efficace de collecte de données. Elle appelle son approche de formatrice pour la différencier de celle de Scriven (1967, Chicago) qui avait parlé d'approche formative. Les travaux collectifs de Georgette Nunziati apportent une contribution très importante au concept d’évaluation formative. En effet, elle parle d'auto-évaluation et d’autonomie des apprenants et de fait, elle change profondément le rôle de l'enseignant comme détenteur de savoir et de méthodes à celui de co-constructeur de l'enseignement avec l'apprenant, tous deux étant d'une certaine manière 'évalués'.
1. Un concept issu de la recherche fondamentale
L'évaluation formatrice est issue d'une recherche fondamentale conduite des années 1974 à 1977 au lycée de Marseilleveyre, à Marseille. Il s'agissait d'étudier les effets des comportements d'évaluateurs sur les performances des élèves en difficulté. Georgette Nunziati et Jean-Jacques Bonniol, chercheurs de l'université de Provence, dirigent cette recherche en lien avec les enseignants des classes de Seconde AB et de Première G de l'établissement marseillais. L'équipe de G. Nunziati expérimente différentes hypothèses et modalités. Très vite, certains objectifs prioritaires s'imposent :
- l'appropriation par les élèves des critères des enseignants,
- l'autogestion des erreurs de l'apprenant,
- la maîtrise des outils d'anticipation et de planification de l'action d'évaluation.
Le dispositif pédagogique s'en trouve profondément modifié et l'élève doit désormais apprendre les techniques de l'auto-évaluation. Ces nouvelles méthodes ont prouvé leur efficacité au moins dans les chiffres. Les élèves de la classe qui avait suivie l'expérimentation dans le respect du cadre institutionnel, ont obtenu la meilleure moyenne nationale à l'épreuve de français du baccalauréat et 87 % des lycéens de Terminale G1 ont réussi au baccalauréat, contre 55 % les années précédentes.
2. Hypothèses et modèles
Qui dit évaluation, dit questionnement de l'enseignant sur ses pratiques. En effet, l'évaluation touche le contenu de ses cours, ses stratégies pédagogiques, ses modèles didactiques. L'évaluation formatrice est une démarche didactique. Elle oblige l'enseignant à définir clairement son modèle didactique de référence et les pratiques pédagogiques qui en découlent et qu'il va devoir mettre en oeuvre. D'où, souvent, le besoin de formation.
L'école soviétique (cf. Vygotsky) insiste sur ces opérations d'anticipation qu'elle décline en cinq points : la représentation des buts en terme de savoirs et savoir-faire, l'anticipation de la démarche pédagogique à suivre pour les atteindre, sa planification, son exécution, le contrôle de ses résultats.
L'évaluation formatrice veut amener l'apprenant à s'approprier les outils d'évaluation de son professeur et à maîtriser les opérations d'anticipation et de planification. Il entre alors dans une démarche de régulation qu'il conduit lui-même.
Pierre Vermersch s'interesse à l'activité que déploie l'apprenant pour accomplir une action donnée. Il attire principalement l'attention sur les différences entre la logique de la discipline enseignée par un expert et la logique de l'apprenant. Un dispositif pédagogique quel qu'il soit doit fournir aux élèves les outils nécessaires à la représentation correcte des buts fixés, à la planification rationelle de l'action, à l'autocorrection et à l'autoévaluation par l'élève lui-même. C'est seulement à ces conditions d'anticipation que le dispositif sera opérationnel et garantira la plus large réussite possible aux élèves. Il s'agit là des objectifs clés de l'évaluation formatrice. Si l'évaluation formative est le fait du maître, l'évaluation formatrice est essentiellement le fait de l'élève.
Pour mettre en oeuvre l'évaluation formatrice, il est nécessaire de transformer les cours habituels en séquences d'apprentissage dans le cadre prédéfini d'un plan progressif de remédiation dans lequel l'élève joue le rôle central de correcteur de ses propres erreurs. Le maître en tant que correcteur lui-même transforme ses comportements et replace l'erreur de l'apprenant comme moteur de sa formation, recourt systématiquement à l'auto-évaluation et travaille en équipe tout en respectant scrupuleusement les programmes et les spécificités de chaque matière.
3. Carte d'étude, évaluation(s) et régulation
G. Nunziati propose à l'enseignant qui veut s'engager dans l'évaluation formatrice de faire construire une carte d'étude par son
élève. Cette carte traduit la façon dont l'élève voit l'action pédagogique de son enseignant, son déroulement, les savoirs et les savoir-faire sélectionnés dans ce cadre prédéfini. Cette
carte d'étude devrait contenir les élèments suivants :
- identification de la catégorie d'action concernée,
- identification du "motif" de la tâche (vérification d'acquisition, construction d'une notion, transfert des acquis, consolidation
d'une démarche),
- énonciation des conditions externes de réalisation (temps imparti, volume attendu, travail individuel ou en équipe, documents,
etc.)
- analyse des conditions internes de réalisation (problèmes à traiter, connaissances sollicitées et leur rôle précis, variables des
procédures de résolution),
- sélection et/ou transformation des critères de réalisation connus et réutilisés dans cette catégorie de
problèmes.
La carte d'étude suivie par l'élève tout au long de la séquence pédagogique du professeur permet ensuite l'évaluation formatrice de l'élève au moyen d'évaluations de différents types :
- l'auto- évaluation : l'élève évalue lui-même son travail. En général, il le fait spontanément, naturellement. Il ne s'agit bien sûr pas d'autonotation mais plutôt d'autocontrôle, d'autorégulation.
- la co-évaluation : Dans chaque groupe de travail, chaque élève évalue la production de l'autre d'une façon plus distanciée
et repère les opérations qu'il fallait et donc qu'il faudra effectuer pour atteindre l'objectif prédéfini.
- l'autobilan : l'élève analyse son produit fini et mesure son écart par rapport à la carte d'étude. Il est utile que ces
autobilans soient intermédiaires pour permettre l'autocorrection progressive des écarts.
- l'évaluation formative : l'enseignant adapte son dispositif pédagogique à la réalité des apprentissages des élèves. Il
s'engage dans un processus de régulation tout au long de sa démarche pédagogique,
- l'évaluation sommative : l'enseignant établit un bilan fiable au terme des apprentissages à une période donnée (recueil des informations, construction d'outils de mesure fiables). La notation aura une valeur relative et non absolue. En effet, elle ne mesure pas la totalité des acquisitions mais seulement celles qui ont été transférées dans le cadre de l'objet d'apprentissage.
Dans la pratique de l'évaluation formatrice, l'enseignant tout comme son élève s'engage dans une régulation, un processus
d'adaptation au programme pédagogique et à la réalité des apprentissages.
4. Objectifs d'une formation à et par l'évaluation formatrice
Former, c'est transformer. Le dispositif d'évaluation formatrice transforme les points de vue, les connaissances
initiales, les techniques pédagogiques. Les recherches en sciences de l'éducation fournissent les moyens nécessaires pour transformer les références et les pratiques des enseignants et
modifier leurs représentations. Il faut commencer par renoncer à chercher en dehors de l'école uniquement les causes de l'échec scolaire. Il faut accepter que l'erreur de l'apprenant est en fait
une démarche d'assimilation et la traiter comme telle. D'où l'importance de la transformation des comportements de l'évaluateur.
La toute puissance de la parole de l'enseignant a trouvé ses limites. Il faut désormais créer des situations, des tâches qui assurent une représentation correcte
des buts pédagogiques à atteindre et une bonne construction des connaissances nécessaires pour les atteindre. Le professeur passe de l'implicite à l'explicite avec des cours à objectifs
clairement expliqués à l'élève dans un acte d'anticipation.
L'enseignant met en évidence les réussites de l'élève et non pas seulement ses erreurs. Pointer sa réussite, c'est lui permettre de recommencer à réussir grâce à la
rationalisation, à la conscientisation, de sa démarche d'apprenant. Dans le dispositif proposé par G. Nunziati, il y a des moments d'enseignement (le cours magistral) compris
dans la séquence d'apprentissage qui met en avant les savoirs et les savoir-faire de l'élève par le biais de tâches formatrices directement liées au programme d'enseignement.
L'enseignant laisse l'élève décrire les démarches expérimentées avec l'ensemble de la classe et faire le point par rapport aux objectifs annoncés dans le cadre de moments institués de
verbalisation.
L'évaluation formatrice est en soi un système pédagogique qui invite l'enseignant à interroger ses modèles didactique, idéologique,
pédagogique, à questionner la pertinence de ses actions et de son discours pédagogiques et à analyser ses objectifs et ses dispositifs d'évaluation.
Références bibliographiques
Georgette Nunziati, Pour construire un dispositif d'évaluation formatrice, document de travail, Université d'été, juillet 1988, in Cahiers Pédagogiques, N°280, janvier 1990, pp. 47-64.
Jean-Jacques Bonniol, Michel Vial, Les modèles de l'évaluation, textes fondateurs et commentaires, De Boeck Université, Paris, Bruxelles, 1997.
Cet ouvrage offre un panorama critique des comportements d'évaluation. Il aide à s'y retrouver, depuis l'évaluation-mesure jusqu'à l'évaluation complexe, dans le but d'une utilisation dépassionnée des champs, des outils et des savoirs produits. Cette classification innovante des modèles est justifiée par une réflexion sur le processus de référenciation qui agit sur l'évaluateur et " formate " sa pensée. L'ouvrage désigne des objets de formation tout en laissant libres les situations de formation, et s'adresse à tous ceux qui assument une fonction de formation ou d'encadrement.
Pierre Vermersch, Analyse de la tâche et fonctionnement cognitif dans la programmation de l'enseignement, Bulletin de psychologie, tome 33, N°343, 1977.