Bases didactiques de projet pédagogique : Léon BARBEY
Le socioconstructivisme au service de la pédagogie
Léon Barbey (1905-1992) est un pédagogue suisse originaire du canton de Fribourg, professeur à l'Ecole normale d'Hauterive. Il obtient son doctorat en 1933. En 1958, il revient à Fribourg à la suite de souhaits largement exprimés, après avoir été professeur aux Facultés de Lyon. La direction de l’Instruction publique lui confie la responsabilité pédagogique de l’Ecole normale. L'école de formation des maîtres bénéficie peu à peu de nouvelles démarches pédagogiques, grâce aux idées qui prévalent à cette époque, à la large culture de Barbey et à l’ouverture de certains professeurs.
La première pédagogie, traditionnelle, utilisée jusque là à Hauterive est celle de l’enracinement. La position de l’enseignant, classique, consiste à transmettre un savoir sans aucune implication, ni de lui-même ni de l’apprenant. La maîtrise cognitive en est l’objectif premier. Cet enseignement est celui que l’on observe encore et surtout dans les grands auditoires universitaires.
1. Une pédagogie moins rigide
La deuxième est celle du surgissement, née en réponse aux outrances de la pédagogie traditionnelle. Les principes directeurs se fondent sur une approche philosophique tout autre. Il s’agit surtout d’être en relation plutôt que brandir le savoir, d’écouter plutôt que parler, d’échanger plutôt qu’imposer, d’agir ensemble plutôt qu’expliquer tout seul, d’inventer plutôt que reproduire, de faire plaisir plutôt que souffrir, d’accepter l’incertitude plutôt que conforter le déjà-connu, de proposer des limites plutôt qu’imposer des règles, de développer la confiance en soi plutôt que miser sur la comparaison et la stigmatisation par la notation, de valoriser le processus plutôt que contrôler le résultat, d’être dans une logique d’accompagnement plutôt que dans une logique de direction.
La troisième est appelée pédagogie transversale. Celle-ci tient compte de l’enracinement qui défend très fortement le pôle du savoir et du surgissement tout en soutenant le pôle de la connaissance de soi. Ces deux pôles sont aussi importants l’un que l’autre. Ils sont au fondement de la construction identitaire. Le socioconstructivisme est aujourd’hui le paradigme de référence dans la plupart des programmes destinés aux enseignants.
Dès 1958, Léon Barbey favorise une pédagogie du surgissement davantage centrée sur la personne. Mais à l'analyse, on constate qu'il s'agit plutôt d'une pédagogie transversale. Le pôle du savoir garde toute son importance avec le maintien des interrogations écrites, des notes et des épreuves orales et écrites du brevet. Quant au socioconstructivisme, il est surtout apparu à l’Ecole normale à la fin de la dernière décennie du XXe siècle, avec une priorité au début du troisième millénaire.
L’école idéale devrait allier les recherches personnelles ou par groupes, organisées avec lucidité, à un enseignement frontal intéressant, clair, structuré, documenté, impliquant les élèves, suivi d’applications et surtout de répétitions.
2. Le rôle du Maître et le rôle de l'élève
Pour Léon barbey, la formation professionnelle des enseignants est trop réduite. Il instaure un stage d’une semaine en 1962. Dès 1964, un premier accent fort est mis sur la pratique de l’enseignement, soit un après-midi par semaine en 4e et 5e années avec une semaine de stage en 4e année et un mois en 5e année.
En 1967 paraît le remarquable Guide et plan d’études pour l’école primaire fribourgeoise. Léon Barbey préside la commission qui rédige cet ouvrage. Il écrit une introduction dont la dimension affective confirme une évolution de l’école :
(...) Le maître ne va pas se présenter aux enfants sous les traits impérieux du représentant d’une autorité, qui ne songerait qu’à se faire craindre et obéir. Educateur, il est avant tout mandaté pour aider l’enfant à se développer. Tel est son objectif essentiel, sans lequel les succès extérieurs, aux examens, par exemple, ne sont que vaines apparences. Or il ne saurait l’atteindre, cet objectif essentiel, s’il n’est pas capable d’inspirer à l’enfant le désir de recourir à son aide pour se développer, et se développer avec son aide. Nous n’hésitons pas à dire que le maître doit d’abord aimer sincèrement et profondément ses élèves. Son autorité doit s’exercer dans un climat d’affection.
Ce Guide et plan d’études sera ensuite remplacé par les Plans d’études romands. Léon barbey explique sa pédagogie dans le Bulletin pédagogique du 15 mars 1962 au sujet de l’école active :
Le noyau de l’Ecole active, abstraction faite des nuances qui en différencient les multiples tendances, réside dans une certaine conception des relations entre l’enfant et le maître, dont résultent instruction et culture, des relations entre l’enfant et l’éducateur, dont résulte une éducation humaine (...).
L’idée essentielle de l’école traditionnelle est que le maître sait et que l’élève ne sait pas. Le maître doit donc donner, apporter, transmettre, communiquer son savoir. L’élève doit recevoir, accueillir, accepter, absorber, digérer, assimiler. De ces deux attitudes complémentaires, la plus active est celle du maître ; celle de l’élève, qui l’est moins, est, par comparaison, plutôt passive, c’est-à-dire docile, soumise, obéissante aux leçons, aux explications, aux consignes, aux modes d’emploi. La marge de l’initiative de l’élève est minime.
C’est sur ce point précis que porte l’attaque de l’Ecole nouvelle. L'enseignant ne doit pas donner, apporter, transmettre, communiquer un savoir tout fait. Il doit éveiller l’esprit de l’enfant, et cela non pas en agissant directement sur lui mais en disposant autour de lui des choses (objets, pierres, plantes, animaux, images, documents…) qui suscitent son intérêt, le mettent spontanément en activité de curiosité, de recherche, de vouloir-savoir-et-comprendre.
L’enfant doit être actif, actif de l’esprit, des yeux, des mains, des oreilles, de la langue. Il parle avec les autres ; ils discutent ensemble et tout naturellement interpellent le maître, qui peut alors légitimement entrer dans la danse, dont le rythme reste marqué par les élèves. Son rôle est de répondre intelligemment aux questions, c’est-à-dire de les satisfaire et de les faire rebondir, d’amener de temps en temps des mises au point, des vues d’ensemble, des synthèses et de l’ordre dans les notions acquises.
Entre ces deux pôles extrêmes, la pédagogie traditionnelle et la pédagogie transversale, il y a place pour de nombreuses positions, aimantées surtout par l’un ou par l’autre de ces pôles.
3. L'Ecole active
L'école active revendique un maximum d’initiative laissé à l’élève. L’enfant devenant plus actif dans l’acte même de l’acquisition du savoir, la part d’activité du maître paraît devoir être diminuée. En réalité, elle ne fait que changer de forme, comme l’énergie mécanique se transforme en chaleur.
L’Ecole active proscrit les leçons assénées, pour ainsi dire, à l’improviste par le maître sur des sujets complètement étrangers aux préoccupations actuelles de l’enfant. Elle met plutôt en avant la recherche de documents. Il s'agit pour l'élève de trouver tous matériaux objets de la leçon. Mais il ne s'agit pas d’employer tout le temps de la leçon à prendre contact avec les objets ou les images des objets, et à négliger le passage à la seconde étape qui est l’acte intellectuel par excellence, l’acte de juger, de comprendre. Cet acte comporte le passage du concret à l’abstrait.
C’est là surtout qu’est indispensable l’intervention et le contrôle du maître. Dans la même ligne, l’Ecole active nous a rendu service en nous obligeant à réfléchir sur la valeur pédagogique des devoirs, tâches d’application, exercices en classe et à la maison. Ils concernent la troisième phase de l’acte de s’instruire, qui consiste à exprimer, en paroles et en actions, ce qu’on a compris et assimilé.
L'école active s'élève contre une certaine manière, trop courante, de « donner » les devoirs, de les donner comme si le devoir était un élément distinct de l’acte d’apprendre, une sorte d’excroissance de l’acte d’apprendre. L’acte d’apprendre ne comporte pas seulement l’audition par l’élève de l’exposé du maître, et sa compréhension. Il inclut dans son essence même l’assimilation, la prise de possession du savoir. Or l’assimilation comporte la mémorisation des faits ou des textes (devoirs oraux) ; elle comporte la capacité d’appliquer les techniques et les règles dans des exercices pratiques (devoirs écrits) ; elle comporte enfin la compréhension intelligente (qui entre en jeu et dans les leçons à apprendre et dans les devoirs écrits).
Il ne faut pas séparer l’assimilation et l’audition attentive de la leçon magistrale. La leçon n’est terminée, elle n’est complète que quand elle est sue, possédée, assimilée. (…)
Références bibliographiques
Marie-Thérèse Weber, Léon Barbey, pédagogue (1905-1992), collection sciences de l'éducation, Editions Don Bosco, Paris,
1992.
Jean-Marie Barras, L'aura de Léon Barbey, directeur de 1963 à 1965, in L'Ecole normale cantonale d'Hauterive à Fribourg de 1859 à 2003, Chronique, contexte, témoignages, avril 2008.