Lire le roman d'Albert Camus, La Peste
Albert camus, La peste, Editions Gallimard, 1947.
Biographie de l'auteur
En 1947, Albert Camus publie La Peste qui connaît un immense succès.En 1951, il publie l'Homme Révolté qui provoquera sa rupture définitive d’avec Sartre. Albert Camus subit alors avec une grande douleur la situation algérienne. Il prend position, dans l'Express, au travers de plusieurs articles où il montre qu'il vit ce drame comme un "malheur personnel". Il ira même à Alger pour y lancer un appel à la réconciliation. En vain. En 1956, il publie La Chute, une œuvre qui dérange et déroute par son cynisme et son pessimisme.
Albert Camus obtient le prix Nobel en octobre 1957 " pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes». Il dédie son discours à Louis Germain, son instituteur. Trois ans après, le 4 janvier 1960, il meurt dans un accident de voiture.
Qui est Albert Camus ?
• Né le 7 novembre 1913, Albert Camus passe son enfance à Alger, dans une famille pauvre. Son père, ouvrier agricole, meurt à la guerre en 1914. « Toute sa sensibilité » le lie à sa mère, qui parle difficilement et ne sait pas lire.
Il doit à son instituteur de poursuivre des études, mais la tuberculose l'empêche de se présenter à l'agrégation de philosophie.
Tout en exerçant divers métiers, il milite contre le fascisme, pour l'Espagne républicaine. Il s'engage dans le théâtre populaire : il y est à la fois acteur et metteur en scène. Dans le même temps, il tente de donner à ses romans une portée philosophique. En 1938, il s'engage dans le journalisme et deux ans plus tard, quitte l'Algérie.
• À Paris, il travaille au journal Paris-soir, puis aux éditions Gallimard. Dès 1943, il s'engage dans la Résistance et publie des livres qui font de lui l'un des grands écrivains de son temps : l'Étranger, le Mythe de Sisyphe, le Malentendu, Caligula. À la Libération, il dirige le journal Combat. En 1947, il publie la Peste, et, en 1951, l'Homme révolté.
En 1954, il vit la guerre d'Algérie comme un drame personnel. Il publie l'Été (1954), la Chute (1956), l'Exil et le royaume (1957). En 1957, il reçoit le Prix Nobel de littérature.
Il meurt le 4 janvier 1960, dans un accident de voiture, laissant inachevé le Premier Homme.
Présentation du roman
La Peste est publiée en 1947. Albert camus connait avec ce roman son premier grand succès littéraire. Il se vend a plus de 5 millions d'exemplaires.
L'action se situe à Oran, en Algérie française, en avril 194. (on ne sait pas exactement quelle année des années 40). Camus décrit Oran comme une ville "fermée" qui "tourne le dos à la mer". La Peste est construit comme une tragédie en 5 actes. C'est le roman du doute et de l'espoir.
Résumé
Première partie
Oran, avril. Le docteur Rieux découvre le cadavre d'un rat sur son pallier. Le concierge de l'immeuble du docteur Rieux, Monsieur Michel, croit que ce sont des plaisantins qui l'ont déposé là. Le docteur Rieux accompagne sa femme à la gare. Elle part se soigner dans une vile voisine. Une agence de presse annonce que 6000 rats morts ont été ramassés le jour même. L'angoisse monte. On accuse la municipalité. Puis, le nombre de cadavres de rats diminue, la ville retrouve sa propreté et on pense que l'alerte est passée. Mais Monsieur Michel tombe malade et malgré les soins du médecin, il succombe à ce mal violent et mystérieux. Le docteur Rieux est appelé par Grand, un employé de mairie, qui vient d'empêcher un certain Cottard de se suicider. Les morts se multiplient. Rieux consulte un vieux confrère, le docteur Castel. Castel confirme ses soupçons : c'est bien la peste. Rieux arrive à contraindre les autorités de la municipalité à "fermer" la ville.
Deuxième partie
La ville s'isole progressivement. Les comportements individuels et collectifs sont modifiés par la peur : "La peste fut notre affaire à tous", dit le narrateur. Les habitants ne peuvent plus communiquer entre eux et avec leurs parents et leurs amis à l'extérieur. A la fin juin, un journaliste parisien, Rambert, veut que Rieux l'aide à retourner à Paris pour retrouver sa compagne. Cottard, survivant de son suicide en avril, semble se satisfaire de façon malsaine du malheur des gens. Les Oranais tentent de compenser leur isolement par les plaisirs matériels. Grand se concentre sur l'écriture d'un livre qu'il a bien du mal à commencer. Le Père Paneloux déclame que la peste est un châtiment divin adressé aux hommes exempts de charité. Le fils du procureur, Tarrou, tient ses propres carnets sur l'épidémie. Il ne croit qu'en l'Homme et se met courageusement à la disposition de Rieux pour organiser les services sanitaires. Rambert les rejoint.
Troisième partie
En été, la tension monte avec l'épidémie qui redouble. Les corps des victimes qui augmentent sans cesse sont jetés dans des fosses communes, comme des animaux. Il y a des pillages. Les habitants se résignent. Ils perdent l'espoir, leurs illusions et attendent.
Quatrième partie
Entre septembre et décembre, Rambert aurait pu quitter la ville mais a choisi de rester pour continuer à lutter contre la maladie aux côtés du docteur Rieux et de Tarrou. Rieux est ébranlé par l'agonie d'un jeune enfant, le fils du juge Othon. Même l'abbé Paneloux est troublé dans ses certitudes. L'abbé meurt seul, sans avoir fait appel au médecin, serrant contre lui un crucifix. Tarrou et Rieux se ressourcent en prenant un bain d'automne dans la mer. A Noël, Grand tombe malade à son tour mais survit grâce au nouveau sérum. Des rats vivants réapparaissent.
Cinquième partie
En janvier, le fléau recule. Mais Othon meurt ainsi que Tarrou qui s'éteint sereinement au domicile de Rieux après avoir confié ses carnets au médecin. Cottard devient fou et est arrêté par la police. Rieux apprend par un télégramme que sa femme est morte. Par une belle matinée de février, la ville est rouverte. Les habitants ont soulagés mais ils n'oublieront jamais cette épreuve "qui les a confrontés à l'absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine." On apprend à la fin du roman qui en est le narrateur. C'est Rieux qui a voulu retracer les événements le plus objectivement possible. La peste peut revenir et il en appelle à la plus grande vigilance.
Etude du roman
Comment le roman s'articule-t-il ? Quels sont ses principaux thèmes ?
I. Le sujet
• Dans les années 1940, la ville d'Oran, en Algérie, subit une épidémie de peste qui la coupe du reste du monde. On assiste à la progression puis au déclin de la peste, on en voit les effets sur la population. Albert Camus crée ainsi une situation expérimentale qui permet d'étudier ce que deviennent les hommes dans une période de crise.
• L'action se situe à Oran : le récit est ponctué de descriptions de la cité, présentée comme « une ville ordinaire ». Elle est évoquée à travers les saisons, le temps qu'il fait, l'activité quotidienne (travail, marchés, transports, cafés, cinémas), les différents quartiers, la mer : « Cette ville déserte, blanchie de poussière, saturée d'odeurs marines, toute sonore des cris du vent, gémissait alors comme une île malheureuse. »
II. Les thèmes
1. La maladie et la souffrance
• La maladie apparaît brutalement et se répand avec rapidité. Elle est décrite avec une précision toute médicale : sa transmission par les rats, la fièvre et les abcès, les difficultés respiratoires, certains détails réalistes étant presque insoutenables. L'épidémie s'amplifiant, des dispositions légales sont prises : isolement des malades (dans les hôpitaux puis dans les écoles), quarantaine pour les familles (qui vivent dans des camps), enterrements d'abord bâclés, puis supprimés ; transport des cadavres dans des tramways, vers des crématoires en dehors de la ville.
2. La mort
• La maladie est généralement suivie de mort. Celle-ci est décrite en tableaux poignants, qui vont crescendo : celle du concierge, puis celle du chanteur (qui joue Orphée). À l'épisode révoltant de la mort d'un enfant succède celle d'un prêtre puis celle de Jean Tarrou, l'un des principaux personnages.
3. La séparation, l'exil et la solitude
• La ville pestiférée est coupée du monde. Nul ne peut y entrer, nul ne peut en sortir. Le courrier n'est plus acheminé. Seuls les télégrammes permettent d'avoir de loin en loin des nouvelles des absents. Chacun est donc comme exilé de sa famille ou de ses proches, faisant, d'une façon ou d'une autre, l'expérience de la séparation. Tout homme susceptible d'être contaminé devient une menace pour autrui.
4. La mise à l'épreuve
• L'épidémie constitue une épreuve collective : « Il n'y avait plus alors de sentiments individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. » La menace quotidienne de la mort et l'enfermement modifient les comportements. Ils font naître des révoltes mais aussi des actions de dévouement et de solidarité.
Cela ne se manifeste pourtant pas par l'héroïsme : « C'est que rien n'est moins spectaculaire qu'un fléau et, par leur durée même, les grands malheurs sont monotones. »
III. Les personnages
La plupart des personnages de premier plan sont des hommes (les seules femmes présentes sont des mères et incarnent patience et douleur). Ils constituent des figures sociales : un médecin (Rieux), un prêtre (Paneloux), un journaliste (Rambert), un fonctionnaire municipal (Grand), un juge (Othon), un trafiquant (Cottard). À leurs côtés, Tarrou, ami du médecin, fait figure de philosophe solitaire.
1. Bernard RIEUX
• Le médecin constitue, de facto, le personnage principal : il est présent à la première et à la dernière page du livre. « Paraît trente-cinq ans […]. Il a l'air d'un paysan sicilien avec sa peau cuite, son poil noir et ses vêtements de teintes toujours foncées, mais qui lui vont bien. »
Par ses yeux, nous découvrons le premier rat contaminé. Le premier encore, il prononce le mot « peste ». Non seulement il est celui qui voit la vérité, mais aussi celui qui y fait face coûte que coûte, malgré l'épuisement : « Pour le moment il y a des malades et il faut les guérir. Ensuite, ils réfléchiront et moi aussi. Mais le plus pressé est de les guérir. ».
• La peste est pour lui « une interminable défaite ». Il apprend la mort de sa femme juste après celle de son ami Jean Tarrou : « Depuis deux mois et depuis deux jours, c'était la même douleur qui continuait. » Seule sa mère constitue une présence apaisante.
Il lui revient, à la fin du livre, de tirer les conclusions de l'épreuve : « Tout ce que l'homme pouvait gagner au jeu de la peste et de la vie, c'était la connaissance et la mémoire. »
2. Jean TARROU
• Cet ancien militant vit un peu en marge de la société mais crée un groupe de volontaires pour aider Rieux dans sa tâche, ce malgré le danger : « Je dis seulement qu'il y a sur cette terre des fléaux et des victimes et qu'il faut, autant que possible, refuser d'être avec le fléau. » Il y perdra sa vie, au moment même où l'épidémie commence à décroître.
Il est presque devenu un double de Rieux : ni l'un ni l'autre ne croient en Dieu mais tous deux cherchent au fond la même chose : Tarrou à être « un saint sans Dieu », Rieux à « être un homme ».
3. Les autres personnages
• Raymond Rambert, le journaliste, venu de Paris pour une enquête, se trouve retenu à Oran malgré lui. Il tente de quitter la ville, en corrompant quelques gardes. À la dernière minute, il renonce à son bonheur et choisit de continuer à lutter avec Tarrou : « maintenant que j'ai vu ce que j'ai vu, je sais que je suis d'ici, que je le veuille ou non ».
• Joseph Grand, le bien nommé, est un modeste auxiliaire municipal, abandonné par sa femme. Il rêve de devenir écrivain et s'évertue à écrire un livre. Pendant ses heures de liberté, il produit des statistiques pour les formations sanitaires. Le narrateur le consacre héros de l'épidémie : « S'il est vrai que les hommes tiennent à se proposer des exemples et des modèles qu'ils appellent héros […], le narrateur propose justement ce héros insignifiant et effacé qui n'avait pour lui qu'un peu de bonté au cœur et un idéal apparemment ridicule. »
• Paneloux, le prêtre, présente au départ la peste comme une punition du Ciel. Il lutte néanmoins contre l'épidémie aux côtés des volontaires. Il subit l'épreuve de la mort d'un enfant, le fils du juge. Bouleversé, il choisit cependant la foi, « cruelle aux yeux des hommes, décisive aux yeux de Dieu », et meurt en refusant toute assistance.
• Othon, le juge d'instruction, paraît d'emblée insensible et froid. La mort de son fils le conduit à s'engager aux côtés des volontaires.
• Cottard est un trafiquant menacé d'arrestation quand l'épidémie se déclenche. Il est le seul que la peste réjouit car elle le libère de la peur. À la fin du roman, Cottard est arrêté mais il est devenu fou.
• Le vieil asthmatique, patient habituel de Rieux, vit retiré chez lui. Témoin des événements, sans illusions, il représente le bon sens populaire et s'exprime volontiers par des proverbes, ou des formules toutes faites quasiment énigmatiques : « Mais qu'est-ce que ça veut dire, la peste ? C'est la vie, voilà tout. »
4. La population
En contrepoint des personnages principaux, la population est évoquée collectivement, au fur et à mesure que l'épidémie évolue.
• Elle est d'abord dominée par la peur ; les premières mesures sanitaires provoquent des émeutes, certains essayant de forcer les portes pour quitter la ville.
C'est ensuite l'abattement qui la menace : « Au grand élan farouche des premières semaines avait succédé un abattement qu'on aurait eu tort de prendre pour de la résignation, mais qui n'en était pas moins une sorte de consentement provisoire. »
• Avec la fin de l'épidémie, se manifestent des sentiments confus et contradictoires : « l'espoir n'avait plus de prise » sur certains ; pour d'autres, « une sorte de panique les prenait, à la pensée qu'ils pouvaient, si près du but, mourir peut-être… »
5. Les autorités
• Représentées par le préfet, elles se montrent, au début, très timorées, craignant surtout d'affoler la population. Les journaux communiquent chiffres et informations, au fur et à mesure des progrès de l'épidémie. À la fin du livre, les autorités envisagent de dresser un monument à la mémoire des pestiférés.
IV. Les techniques
1. La composition
• Le livre comprend cinq parties, de longueur inégale. La première et la dernière correspondent respectivement à la naissance et au déclin de l'épidémie. La deuxième décrit le comportement des principaux personnages, confrontés au fléau. Dans la quatrième, certains de ces personnages ont évolué, sous la pression des événements (Rambert, le prêtre, le juge).
La troisième partie, centrale, ne comprend qu'un chapitre d'une vingtaine de pages. Le narrateur marque une pause dans le récit pour décrire les effets de la peste sur la vie quotidienne.
2. Le narrateur
• Le narrateur se présente comme un historien, ayant recueilli témoignages et documents. Il décrit avec minutie, jour après jour, l'évolution de la peste. Il y est mêlé : « ils s'aperçurent qu'ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac, et qu'il fallait s'en arranger ».
Il évoque la population en disant : « nos concitoyens ». Il se manifeste parfois très ouvertement : « le narrateur estime… », « le narrateur propose… » mais ne dévoile sa véritable identité qu'à la fin du roman : « Il est temps que le docteur Bernard Rieux avoue qu'il en est l'auteur. »
Commentaire du roman
Le sens métaphorique
La Peste est le roman symbolique d’un écrivain engagé. Il peut se lire à trois niveaux :
1. Un combat contre la maladie. Le combat du docteur Rieux représente celui de tous les médecins dévoués qui luttent contre la maladie mais qui se sentent parfois impuissants face à la mort inéluctable des être humains.
• Le roman évoque d'abord la peste pour elle-même, rappelant les grandes épidémies (qui ont eu lieu en Italie ou à Marseille) et les horreurs qui les ont accompagnées. Il se veut une sorte d'hommage aux victimes oubliées du fléau.
2. Un combat contre l’oppression politique. Pour Camus, la peste représente le nazisme qu’on surnomme parfois la peste brune, une idéologie sournoise qui véhicule la haine et la mort, nazisme contre lequel il a lutté avec ceux de sa génération.
• Écrit après la Seconde Guerre mondiale, ce roman se double également d'un sens historique : les camps de quarantaine, les menaces, l'isolement, l'entassement des malades dans les hôpitaux puis dans les écoles, les crémations évoquent le nazisme, les camps de concentration, l'oppression sous toutes ses formes, et la résistance de ceux qui prennent le parti des victimes.
3. Un combat contre toutes les formes du mal. La peste symbolise le mal absolu, toutes les formes de souffrances et d’angoisse.
La victoire remportée sur ce fléau est une leçon d’espoir pour tous les hommes.
• Le roman revêt une signification beaucoup plus générale. Il se veut également témoignage sur la souffrance et la maladie, sur l'engagement de certains hommes, qui savent pourtant que ce combat est sans fin : Rieux « savait ce que cette foule en joie ignorait, […] que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais […] et que peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».
Voir le dossier : http://www.alalettre.com/camus-oeuvres-la-peste.php
Évaluation
Compréhension [12 points]
1. La progression de la peste
1. Relevez dans le texte les indications temporelles qui soulignent l’écoulement du temps.
2. Quel est le premier signe de l'épidémie et pourquoi ce signe est-il connoté ?
3. Quand la peste atteint-elle son point culminant et pourquoi ?
2. Le comportement des hommes face à la maladie
4. Relevez les noms et les fonctions des personnages principaux et l'attitude de chacun d'entre eux face à la maladie.
5. Quelle est l'évolution de la réaction des gens face à l'épidémie ?
3. Le triomphe de l'espoir
6. En quoi ce roman nous amène-t-il à nous interroger sur le sens de la vie ?
7. Quelles sont les raisons qui ont poussé Rieux à écrire l'histoire ?
8. En quoi ce roman est -il un message d'espoir ?
9. Sur quelle mise en garde se termine le roman ?
Compétences d'écriture [8 points]
Selon vous, quels fléaux d’aujourd’hui la peste peut-elle symboliser ?
Argumentez dans un texte d'au moins 40 lignes formé en trois paragraphes.